Dounia Filali TV a tous les codes d’une émission d’actualité. Sauf que sa présentatrice, Dounia Filali, est à la fois productrice, technicienne et rédactrice. La seule de la chaîne. La jeune femme s’exprime en darija, le dialecte arabe marocain, avec un vocabulaire facilement accessible, et commente l’actualité de son pays d’origine, le Maroc, avec une prédilection pour les affaires de corruption. Depuis 2016, année de création de la chaîne YouTube, la formule séduit : elle compte aujourd’hui 272 000 abonnés.
En dépit de ses modestes moyens, ses émissions horripilent les gardiens du royaume. Le succès de Dounia Filali, née Moustaslim, est allé de pair avec une intense campagne de diffamation et de haine en ligne à son encontre. Accompagnée de son mari, Adnane Filali, «l’influenceuse», comme elle se définit, a atterri en France il y a quelques mois, et cherche à y obtenir l’asile politique.
Leur vol, le 29 juillet, était un long courrier en provenance de Pékin. Car le parcours militant du couple a commencé en Chine, en 2017. Cette année-là, Dounia et Adnane Filali «tombent sous le charme» de Hongkong et s’y installent. Adnane fonde entre autres une société de vente en ligne de téléphones reconditionnés. Puis les Filali déménagent à Shenzhen. Dounia se consacre à sa chaîne YouTube. Avec, déjà, l’idée de dénoncer la gouvernance du Maroc en s’en prenant au plus haut personnage du royaume : «…Notre seul problème, c’est Mohamed VI, semblable à louis XIV au roi soleil. il concentre tous les pouvoirs ». assume- t-elle.
La vidéo-activiste réussi son premier coup d’éclat virtuel en 2019. Elle s’intéresse à un compte snapchat anonyme « Hamza mon BB ». créé l’année précédente, et dont le succès est exponentiel. Il s’est illustré en publiant des clichés intimes et des conversations privées de personnalités marocaines, dans l’espoir de les faire chanter.
Au bout de quelques mois, « Hamza mon BB » fait son apparition sur Instagram et cumule rapidement plusieurs millions d’abonnés. En janvier 2020 dounia Filali dans son émission, l’une des victimes de « Hamza mon BB », restée anonyme, qui donne le nom d’un des cerveaux de ces opérations de harcèlement en ligne: la styliste Aïcha Ayach. Extradée par les les Émirats arabes unis, elle finira par écopr de 12 mois de prison au côté d’autres accusés. « c’est devenu un feuilleton judiciaire incroyable, se rappel Dounia Filali. Au début, la justice marocaine ne faisais rien, donc j’ai voulu médiatiser l’affaire. » Mais la youtubeuse se retrouve à son tour dans le collimateur des membres du groupe « Hamza mon BB ». Elle devient la cible de nombreuses menaces et il insultes.
Dounia Filali ne renonce pas pour autant. En novembre 2020, depuis Shenzhen, elle interview à distance l’avocat et ancien ministre des Droits de l’Homme Mohamed Ziane, dans les prises de position contre la corruption crispent la monarchie marocaine. Les différentes vidéos de Dounia Filali réalisé avec lui totalise 1,8 million de vues.
Au lendemain du premier entretien, un montage vidéo vidéo à caractère sexuel est diffusé sur Chouf TV, montrant l’avocat nu en compagnie de l’une de ses clientes, une ancienne commissaire haut gradée ayant porté plainte pour harcèlement sexuel au sein de la police. Les deux protagonistes ont dénoncé « un règlement de comptes », Mohamed Ziane a même ouvertement accusé la DGST- les services de renseignements marocain- d’être derrière la vidéo. » j’ai décidé de les inviter tous les deux sur ma chaine ensuite, explique Dounia Filali, traits enfantins et joues rebondies, attablée dans un café parisien. Ils ont participé à mon émission pour raconter leur version des faits. c’est à ce moment-là qu’a véritablement commencé la diffamation contre mon mari et moi. » Le 9 décembre dernier, le procès de Mohammed Ziane s’est ouvert devant le tribunal de première instance: il doit répondre de 11 chefs d’inculpation dont un d’adultère.
Le mari de Dounia, Adnan Filali, âgé d’une quarantaine d’années, est lui aussi à la tête d’une chaîne Youtube: Lord ADN TV, francophone, qui compte 12000 abonnés. Son père Mohamed Filali, caricaturiste, a confondé la revue Satirix, premier journal satirique marocain, devenu ensuite Akhbar Souk « les nouvelles du souk ». Son oncle est un ancien ambassadeur du royaume chérifien au Liban. « Nous avons quitté le Maroc en 2017, et sommes devenus des pestiférés en 2020 », dit-il avec un amertume.
Au sein de la galaxie des médias marocains proche du pouvoir- Chouf TV, Al Dar, L’Afrique adulte, Barlamane-, le couple Filali est devenu une cible récurrente, accusé de vendre des poupées gonflables, de mentir, de pratiquer l’inceste… « Les accusations d’ordre sexuel sont légion au Maroc, indique Khadija Ryadi, chargé des relations internationales de l’Association de défense des droits humains (AMDH) et lauréate en 2013 du prix des droits de l’homme des Nations Unies. Elles ont un double objectif: salir la réputation de la personne, et semer le doute au sein même de la sphère militante. »Les compagnes d’accusation s’accompagne d’un recours Massif à des « mouches électroniques », des comptes virtuel créé par des robots, pour faire pression sur les cibles.
Le journaliste d’investigation Aboubakr Jamai, fondateur du journal hebdomadaire, forcé de fermer en 2010, évoque une presse de caniveau, qui poursuit Dounia Filali de sa vindicte », affilié selon lui au service secret. Comme le confirme une source bien informée: »les services de sécurité agissent entre autres à travers les « médias de diffamation »,une expression consacrée au Maroc. Ils contrôlent tout un panel de médias. S’ils considèrent que quelqu’un n’est pas dans les clous, ils lancent d’intenses campagnes de dénigrement. C’est un monde opératoire normal. » Une sorte de « meurtre symbolique » destiné à saper l’intégrité, le crédit, la réputation de la personne ciblée.
Le couple Filali « bouleversé », se dit pourtant déterminée à poursuivre ses activités. Sur la chaîne de Dounia Filali, les émissions s’enchaînent. le 11 janvier 2021 elle s’entretient avec Zakaria Moumni, ancien champion du monde de kickboxing, opposant notoire au roi Mohamed VI. Le sportif a été torturé en 2010 au centre de détention de Témara, officiellement pour escroquerie, avant d’être condamné à 36 mois de prison ferme (peine réduite à 18 mois). Pendant 2 heurs et demi l’ex-boxeur de revient sur son parcours, et joint des documents de justice à chacun de ses propos, dans une vidéo visionnée plus de 1,7 million de fois. » j’ai choisi la chaîne de Dounia parce qu’elle est arabophone et que je m’étais jusqu’à présent peu exprimé dans cette langue. Je voulais que tous les Marocains soit au courant de ce qu’il m’est arrivé, notamment ceux qui ne parle que darija. Et puis Dounia est la seule à être véritablement indépendante », indique Zakaria Moumni, qui vivait depuis 2007 en France, dont il a fini par obtenir la nationalité. Il a quitté le pays en 2017 pour le Canada, après avoir échappé à une tentative d’assassinat, affirme-t-il.
Quelques jours avant la diffusion de son interview de Zakaria Moumni, Dounia Filali publie un teaser de l’émission. Les services de renseignement marocain extérieure, intérieure et de lutte contre le terrorisme (DGSN-DGST-DGED) portent immédiatement plainte contre la youtubeuse pour diffamation contre la nation, le 30 décembre 2020. Dans la presse les attaques redouble de violence. « ça a été incessant », soupir la jeune femme. « L’infernal couple Dounia et Adnane Filali, maitres dans l’escroquerie, exilé en Chine et leur forfaits au Maroc », titre Maroc diplomatique. Dounia Filali et son business douteux bourré de sex-spams », surenchérissent Maghress et Barlamane.
Les menaces change de dimension en mai 2021. Dounia Filali reçoit un message sur son compte Instagram on la prévient que son adresse à Shenzhen ainsi qu’un plan de son appartement ont été divulgué sur un groupe wechat composé de 500 marocains. « On nous a dit qu’un « haj », terme détournées par les services secrets pour s’identifier entre agents, était à l’origine d’une vidéo d’une heure, dans laquelle il appelait au meurtre contre nous. Nous sommes allés au commissariat porter plainte. » La police chinoise ne parvient pas à trouver de traducteur en darija pour la vidéo. Et finit par en rester là, expliquant aux Filali qu’il s’agit « probablement d’un fan ». « Nous avions peur. On ne se sentait pas protégé sur le territoire chinois. » Le couple se dit suivi en permanence, arrête de travailler et finit par refuser de signer les conclusions de l’enquête de la police chinoise. Les Filali achète un billet d’avion le 29 juillet, avec une escale en France, où ils peuvent demander l’asile. « ça nous a arraché le cœur de partir, on était très heureux là-bas. Nous avons tout perdu », raconte Adnane Filali. Après 3 jours d’attente à Roissy-Charles-de-Gaulle, la juge a estimé que les conditions étaient garanties pour qu’ils entrent sur le territoire français, détaille le leur avocate, Warda Bouzidi. Ils avaient déjà entamé des démarches en Chine, qui étaient complexes d’un point de vue juridique. » Les Filali ont en effet déposer une demande de protection auprès du bureau chinois du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies, le 12 novembre 2020. Au moment de leur départ vers la France, le statut de réfugié ne leur avait pas encore été accordé par le HCR. Ce sera finalement chose faite le 11 août 2021.
Leur dossier est toujourd’hui en cours de traitement à l’Office français de protection des réfugiés et des apartrides « Ofpra »: depuis leur arrivée en France, les Filali ont pris contact avec Amnesty International pour vérifier si leur téléphone avaient été infiltrés par le logiciel espion Pegasus, largement utilisé par les autorités marocaines.
Sur leur chaîne YouTube respectives, Dounia et Adnane se présentent comme « journalistes indépendants ». Ils ont d’ailleurs lancé un site internet consacré à l’actualité, Alwakai3e-almaghribia. « A travers ses vidéos, Dounia touche la masse Populaire non politisé », juge Adnane. Un public qui sort des cercles habituels du militantisme marocain et dérange d’autant plus le régime. Le président de l’association de défense des droits de l’homme au Maroc (Asdhom), Ayad Ahram décrit les Filali comme « des gens du peuple, liés aussi au monde des affaires par leurs entreprises ». un retour Au Maroc Parait aujourd’hui inenvisageabl pour les Filali: ils craignent un procès inique et la torture. Les différents articles de diffamation ont achevé de saper leur réputation: « pourquoi un tel acharnement? C’est une manière de toucher nos familles. Ma mère a arrêté de me parler, elle considère que je l’ai humilié. » lâche Adnane Filali. La militante des droits humains Khadija Ryadi abonde: « la monarchie considère qu’il y a une véritable guerre à mener sur les réseaux sociaux, Elle cherche par tous les moyens à verrouiller l’espace public ainsi que la presse indépendante et n’a aucune limite. » Adnane Filali conclut: « ِC’est un honneur de leur faire autant peur, je crois. »
Ahmed Achour