La preuve par…Fnideq 

Fnideq, petite ville du littoral méditerranéen du royaume du Maroc, est en ébullition depuis trois semaines maintenant. Bravant l’interdiction de toute manifestation décidée par les autorités de la ville, ses habitants sont descendus dans la rue pour le troisième vendredi de suite. Ce qui, connaissant le penchant de celles-ci à réprimer violemment toute contestation troublant l’ordre royal y imposé, renseigne parfaitement sur le profond désarroi social dans lequel se morfond une bonne partie de ses quelque 60 000 habitants. Et ce, depuis une année maintenant. Depuis, pour être plus précis, la fermeture par le Makhzen de la frontière avec l’enclave espagnole de Ceuta. Et ce, au double prétexte de lutter contre la propagation du Covid-19 et de “protéger la production locale” menacée par les produits introduits au Maroc par les « femmes-mulets ». Faut-il dire que ce dernier argument est considéré par nombre d’observateurs de peu sérieux. Qui soutiennent pour étayer leur position que, d’une part, on ne réagit pas à une menace sur l’économie des années après son apparition et, d’autre part, qu’on ne se prive pas innocemment d’une activité, aussi avilissante qu’elle soit pour celles qui s’y adonnent, qui profite à l’économie régionale et occupe une bonne partie de la population locale. Une manière de suggérer qu’il faudrait chercher ailleurs les véritables raisons de la décision précitée du Makhzen. D’aucuns y voient, en effet, une sorte de chantage exercé sur le gouvernement espagnol: “Ou vous appuyez notre thèse sur le Sahara Occidental, ou nous remettrons sur le tapis la question du statut des enclaves de Ceuta et de Melilla”. Et ce, via des pressions sur l’économie de ces deux enclaves – le même phénomène existe également à Melilla – qui tirent grand profit des activités des “femmes-mulets”; ces femmes marocaines qui, pour un salaire de misère, faisaient quotidiennement un aller-retour entre leur ville de résidence et les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla d’où elles ramenaient sur leur dos – d’où l’avilissante appellation précitée – et à pied – les marchandises ramenées de cette manière sont, en effet, exemptées de toute taxe douanière – des ballots de marchandises de toutes nature, pesant entre 40 et 90 kg, qui faisaient la richesse des commerçants des régions marocaines les entourant. Et, partant, de l’économie de ces dernières. Dans une déclaration faite, il y a une année, à Médias24, un site électronique marocain spécialisé en économie, Nabyl Lakhdar, directeur général des Douanes de notre voisin de l’Ouest, a estimé entre “570 et 750 millions de dollars” la valeur de la contrebande entre Ceuta et Fnideq. Non dépourvue de danger: les bousculades étant courantes et les risques de piétinement fatal pour les femmes qui ont le malheur de chuter, très présents, cette activité permettait à ces esclaves des temps modernes d’avoir une source de revenus – aussi maigres soient-ils – qui leur permettait de subvenir aux besoins de base de leur famille. Pour en revenir à la ville de Fnideq, le brusque assèchement de cette source n’a pas tardé à jeter dans la précarité un grand nombre de ses habitants. Qui, en l’absence de réponse du Makhzen à leurs récurrents appels à la mise en place d’activités de substitution, ont décidé d’occuper la rue et de crier leur désarroi. Entamées depuis trois semaines, les manifestations de Fnideq vont crescendo. Et ce, au grand dam du Makhzen qui appréhende leur extension à la région de Nador, dans la proximité de l’enclave de Melilla située plus à l’Est. Quelle que soit la tournure que prendront les actions de protestation de Fnideq, l’image “d’un Maroc apaisé où il fait bon vivre sous l’aile protectrice d’un monarque bien-aimé et juste”, que s’échine à véhiculer, à l’extérieur, le Makhzen, a déjà été sérieusement écornée. 

Mourad Bendris