La Tunisie dans la tourmente

 

Les Tunisiens ne semblent pas près de voir le bout du tunnel. La situation dans leur pays est tout sauf apaisée. A la grave crise sanitaire qui le frappe de plein fouet et à celle économique non moins grave qui en a découlé, est venue se greffer une autre qui, si elle venait à perdurer, risque d’être fatale pour notre voisin de l’Est. Et tout indique que la profonde crise politique qui le secoue, avec plus d’acuité depuis la dernière Présidentielle qui a porté au palais de Carthage l’atypique Kaïs Saïed, est partie pour durer. Une crise illustrée par l’instabilité gouvernementale que connaît présentement la Tunisie: depuis octobre 2019, elle est, en effet, à son troisième chef de gouvernement. Sans pour autant que ces changements à répétition aient eu une quelconque incidence positive sur la stabilité d’ensemble du pays. Bien au contraire: les grèves et les actions de protestation populaires, quelquefois, violentes, vont crescendo, les “accrochages” entre les formations politiques se font plus réguliers et, fait qui semble commander à tous les autres, les trois présidences – de la République, du gouvernement et de l’ARP (Assemblée des représentants du peuple) – n’en finissent pas de “se crêper le chignon”. Chacune ne voulant céder en rien des prérogatives que leur accorde la constitution en vigueur. 

La Constitution de 2014 décriée…

Adoptée en 2014 par une assemblée nationale constituante (ANC) élue, trois années auparavant, par les Tunisiens, cette dernière est perçue, par nombre d’observateurs de la vie politique tunisienne, comme étant la source première de l’instabilité politique que connaît présentement la Tunisie. “Accouchant” d’un régime politique qui n’est pas présidentiel mais sans pour autant être totalement parlementaire, elle ne semble plus répondre aux aspirations des Tunisiens à une vie politique apaisée qui permettrait au pays de se consacrer résolument aux multiples défis auxquels il  est confronté. Surtout en cette conjoncture marquée par la pandémie du Covid-19 et ses graves répercussions sur l’économie tunisienne; mais, également, par la persistance de la crise libyenne qui n’est pas sans menacer son instabilité, et par les multiples pressions qu’exercent sur lui des pays occidentaux et leurs sous-traitants arabes pour l’amener à s’aligner sur leurs positions dans les problèmes qui affectent l’aire maghrébo-sahélienne et, partant, à s’éloigner de l’Algérie. L’exemple le plus illustratif de la rocambolesque situation politique que vit présentement la Tunisie, est le feuilleton sans fin des “querelles” entre Carthage, siège de la présidence de la République (tunisienne), et la Kasbah, quartier où se trouve la chefferie du gouvernement. Depuis juillet 2020, date à laquelle Kaïs Saïed a désigné Hichem Mechichi, alors ministre de l’Intérieur dans le précédent gouvernement que dirigeait, depuis février 2020, Lyes Fakhfakh, pour former un nouveau gouvernement, les relations entre le deux hommes sont allées en se dégradant. Et ce, dans le même temps où celles qui le lient à Rached Ghannouchi, président de l’ARP et, néanmoins, président d’Ennahda, un parti islamiste liè à la confrérie internationalie des Frères musulmans, ont connu une amélioration sensible. Que les observateurs précités de la scène politique tunisienne attribuent à leur souci partagé d’isoler la présidence de la République – ou, pour être, plus conforme à la réalité, son “titulaire” actuel; à savoir Kaïs Saïed –  du jeu politique en cours en Tunisie. Une lecture (des faits) que tendent à confirmer les nombreuses déclarations de responsables politiques tunisiens qui n’ont pas hésité à qualifier les derniers événements liés au dernier remaniement ministériel, de “coup d’Etat contre le président de la République”. 

Un bras-de-fer révélateur…

Le remaniement en question n’est venu, en effet, qu’après une suite de bras-de-fer entre Kaïs Saïed et Hichem Mechichi. Dont les plus apparents ont été, dans un premier temps, l’annulation par ce dernier des décisions de révocation de responsables au sein des services de sécurité et de  nomination d’autres à leur place qui ont été prises par le ministre de l’Intérieur en poste, et, dans un second, la révocation de ce même ministre. Tout cela au double prétexte que ce dernier ne l’avait pas consulté et qu’il avait agi à l’instigation du président Kaïs Saïed. La situation entre les deux hommes s’est davantage détériorée dans les jours qui ont suivi. Le 17 janvier dernier, Hichem Mechichi a, en effet, annoncé qu’il allait procéder à un vaste remaniement ministériel et qu’il le ferait sans consultation avec la présidence de la République. Ce qu’il a fait avec, à l’évidence, le plein consentement de la présidence de l’ARP; en clair, de Rached Ghannouchi, son président. Le 26 janvier, 127 députés de l’ARP, sur les 217 qu’elle compte, approuvent ledit remaniement. Une approbation qui révèle les lignes de fractures qui traversent désormais l’échiquier politique tunisien: en plus d’Ennahda, les députés ayant voté en faveur du remaniement ministériel proposé par le chef du gouvernement, appartiennent également à Qalb Tounès, le parti de Nabil Karoui, patron de la chaîne Nessma, qui avait affronté au second tour de la dernière Présidentielle, Kaïs Saïed; Tahya Tounès, une formation créée en 2019 et que dirige Youssef Chahed, ancien chef du gouvernement et néanmoins, autre candidat malheureux à la même Présidentielle; la coalition El Karama que l’on présente comme étant le prolongement radical d’Ennahda et ce, dans le sens où cette formation d’obédience islamiste assumée n’hésite pas à user d’un langage violent et d’avoir, quelquefois, des comportements tout aussi violents; et le bloc parlementaire El Islah, comme sa dénomination l’indique, un regroupement conjoncturel de partis et d’élus indépendants dont la plupart sont connus pour leur opposition déclarée au président de la République. Sauf que le seul mérite de cette approbation est d’avoir, comme indiqué plus haut, dévoilé les nouvelles alliances qui prennent forme sur l’échiquier politique tunisien, et laissé entrevoir les dessous de celles-ci. Parce que sur le plan procédural, la bataille est encore loin d’être gagnée: Kaïs Saïed, par son refus de valider cette approbation, empêche le remaniement ministériel décidé par Hichem Mechichi d’être effectif.

Un seul gagnant, Ghannouchi?

Ce qui ne manquera pas, si ce blocage venait à perdurer, de fragiliser ce dernier. Au contraire de Rached Ghannouchi qui se verra ainsi engranger plus d’arguments à l’appui de sa position de toujours en faveur d’un régime parlementaire intégral; le seul (régime) à même, selon nombre d’observateurs, de permettre à Ennahda – et son inamovible président – de diriger le pays sans avoir à passer par une élection présidentielle qui, au vu de la nature de la société tunisienne, est trop aléatoire. Tout indique que le parti Ennahda va, dans les jours et semaines à venir, peser de tout son poids pour orienter les débats sur l’urgente nécessité de revoir la nature du régime politique tunisien. Faut-il le préciser, dans le sens voulu d’un régime parlementaire intégral. Toute la question est de savoir quelle sera l’attitude de ses alliés du moment quand il s’agira de trancher dans un sens ou dans l’autre. Surtout que les projets de société défendus par les uns et les autres, et les alliances à l’échelle internationale que ceux-ci sous-tendent ne sont pas forcément – pour ne pas dire, pas du tout –  convergents. Est-ce à dire que la Tunisie n’est pas encore sortie de la tourmente? Tout l’indique. Surtout que toutes les informations fiables qui ont circulé sur les dernières manifestations de rue qu’a connues notre voisin de l’Est, convergent vers le fait qu’elles étaient des prolongements directs des “querelles” politiques sans fin qui agitent la scène politique tunisienne. Mais également des pressions extérieures exercées sur la Tunisie pour l’amener à s’éloigner de l’Algérie.

Mourad Bendris