Depuis la diffusion, il y a quelques jours, dans le cadre de l’émission hebdomadaire satirique “Week-end Story”, de la chaîne Echourouk News, d’une séquence où le roi du Maroc était représenté par une “marionnette”, tout ce que le Makhzen compte d’officiels et de relais dans les médias et les mondes politique et artistique, est en ébullition. Tout ce beau monde se dit indigné et outré par le “crime de lèse-majesté” que la chaîne Echourouk News aurait commis en caricaturant leur roi. Pour canaliser ce “torrent” d’indignation des hashtags – les plus médiatisés étant “le roi est une ligne rouge” et “ne touche pas à mon roi” – ont été, fort opportunément, lancés. Comme si on voulait donner l’impression que la colère est grande au royaume de M6 et que celui-ci est adulé par son peuple. Pour cela, tous les artifices sont bons à être utilisés. Y compris le mensonge. Les “internautes” – les guillemets ne sont pas fortuits: tout le monde sait que le Makhzen entretient une armée de cyber blogueurs dont la seule fonction est de s’attaquer à l’Algérie – qui ont appelé la diplomatie marocaine à réagir “aux attaques immorales de la chaîne officielle algérienne Echourouk”, en ont commis un. Et de grossier: Echourouk n’ayant jamais été une chaîne officielle; le Makhzen le sait, comme il sait qu’elle est de statut privé. Le mensonge qu’il assène dans ce cas a pour objectif de faire accroire aux Marocains que “ces attaques immorales” contre la “personne sacrée du roi” sont commanditées par les autorités officielles algériennes. Et, partant, de faciliter leur mobilisation contre cet “ennemi extérieur qui ne veut que du mal au Maroc et dont il jalouse ses succès ».
L’étrange comportement de Saâd-eddine El Othmani
C’est, à l’évidence, autour de cet axe – mobilisation interne contre l’ennemi extérieur “qui jalouse nos succès” – que s’est articulée la réaction des officiels marocains et des relais du Makhzen dans les monde médiatique, artistique et même salafiste du royaume. De ce dernier milieu, est montée la voix hypocrite de l’énigmatique Mohamed Fizazi; « énigmatique » parce que cet individu qui s’est fait connaître à ses débuts pour ses prêches radicaux contre tout ce qui n’est pas conforme à sa vision rigoriste de l’Islam, au point de devenir un habitué des plateaux de la chaîne qatarie Al Jazeera – ce qui renseigne parfaitement sur ses véritables accointances politiques -, a brusquement changé de ton au sortir, en 2011, d’un séjour dans les geôles du roi du Maroc. Et ce, pour devenir un défenseur zélé de l’institution royale et de tout ce qu’elle fait de répréhensible. Jouant sur la corde sensible de la fraternité entre les peuples algérien et marocain, il s’est, dans un premier temps, adonné à l’exercice favori du Makhzen et de tous ses relais, consistant à faire accroire à l’oppression du peuple algérien par un pouvoir militaire et, dans un second, à dire que le peuple algérien est innocent de “l’attaque immorale” subie par son roi. Une manière de présenter les choses qui est loin d’être innocente: le Makhzen ne désespérant pas, en cette veille du deuxième anniversaire des événements qui ont éclaté le 22 février 2019, de voir l’Algérie de nouveau secouée par des manifestations de rue. Avec le secret – mais en est-ce vraiment un? – de voir celles-ci basculer dans une violence sans fin. Côté officiels, on a, à l’évidence, choisi de monter en épingle un fait particulièrement anodin que constitue la diffusion par une chaîne de télévision algérienne d’une séquence où le roi du Maroc est simplement caricaturé, pour en faire un motif de mobilisation “contre l’ennemi extérieur” qui a osé, ne cessent-ils pas de le répéter, “empiéter sur les institutions de notre pays et nos symboles nationaux, dirigés par Sa Majesté”. En appelant “à une position unifiée (des Marocains), rejetant cette transgression et protégeant (leurs) institutions, pour défendre les symboles de (leur) pays”, Mustapha Ramid, ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme et des relations avec le parlement, n’a pas fait autre chose. A l’instar, d’ailleurs, de son chef de gouvernement, l’inénarrable Saâd-eddine El Othmani. Qui, au passage, et dans le tweet qu’il a posté pour faire part du “ rejet et de la dénonciation par le peuple marocain (…) de la guerre d’insultes contre les institutions constitutionnelles du pays, et le roi Mohamed VI” que mènent, selon lui, les médias algériens, a ressorti l’argument spécieux et éculé de la jalousie que ressentirait l’Algérie pour “les succès continus du (Maroc) à plus d’un niveau, et dans le dossier du Sahara (Occidental) en particulier”. Si une telle réaction est, somme toute normale, venant d’un chef de gouvernement en exercice au pays de M6: il est, en effet, tenu de ne rater aucune occasion pour renouveler son allégeance à son roi, il est. en revanche, utile de s’interroger sur l’assourdissant silence qu’il a observé quand il a été lui-même caricaturé, de la même manière que M6, dans la même émission – Week-end Story – de la même chaîne de télévision – Echourouk News – début janvier 2021. Pas une parole de protestation, pas une réaction d’indignation contre l’atteinte à un haut responsable gouvernemental marocain n’ont été enregistrées chez notre voisin de l’Ouest. Et ce, à tous les niveaux: officiel, médiatique et sur les réseaux sociaux. A croire que de l’autre côté de nos frontières Ouest, seule la personne du roi a de l’importance.
Silence, “l’attaque immorale” vient des Pays- Bas…
Et encore. On peut en douter. Les réactions aux “attaques immorales” contre “Sa Majesté” ne semblent, en effet, se produire que lorsqu’elles proviennent – si jamais elles ont eu lieu – de “pays frères”. Sinon comment expliquer l’absence totale de réaction de la part du Makhzen et de ses différents relais, à ce qu’a diffusé, il y a quelques jours, une chaîne de télévision hollandaise. Commentant le reportage qui venait d’être diffusé sur la popularité de M6 et des “bains de foule” qu’il prend lors de ses fréquents séjours en Europe, un des invités a clairement déclaré qu’il avait rencontré “le monarque marocain dans une boîte de nuit d’Amsterdam, réservée aux homosexuels”. Ce qui, il faut le dire, est beaucoup plus grave que le contenu de la séquence, dans laquelle M6 apparaît sous les traits d’une marionnette, diffusée par Echourouk News. Sauf que cette gravité ne semble pas avoir été un élément suffisant pour faire réagir de l’autre côté de nos frontières Ouest. C’est, en effet, le silence absolu. A moins d’admettre que personne au Maroc n’en a pris connaissance: ce qui est totalement improbable, vu que la vidéo reprenant cette émission est disponible sur les réseaux sociaux, on est obligé d’admettre que ce silence est la conséquence de directives fermes émanant du Makhzen. Tout indique que ce dernier veut étouffer l’affaire. Et ainsi, ne pas avoir à aborder publiquement un sujet qui touche directement à la réputation du monarque et, partant, à toute la monarchie. Ce que conforte, au demeurant, le fait que ce n’est pas la première fois que des chaînes de télévision étrangères abordent ce sujet sans que cela fasse réagir le Makhzen et ses relais. Une petite virée sur les réseaux sociaux permet de le vérifier. Ce qui renseigne fortement sur les intentions réelles du Makhzen en déclenchant une vague de réactions soi-disant outrées contre la diffusion par Echourouk News d’une émission qu’il s’est empressé de juger attentatoire à la personnalité du monarque marocain. Comme indiqué plus haut, il y a trouvé là une occasion inespérée, en ces temps troubles que traverse le royaume – et ce, sur tous les plans – pour, tout à la fois, détourner l’attention des Marocains et de tous les problèmes qui rendent difficile leur quotidien, et des positions peu honorables qu’il a prises sur le plan international, et, focaliser celle-ci sur le danger extérieur que représente, selon lui, l’Algérie. Faut-il dire qu’une telle attitude est immanquablement vouée à l’échec. En ces temps de révolution technologique et de développement continu des moyens de communication, il faut vraiment être dans un grand désarroi pour recourir à de tels artifices pour manipuler son peuple. C’est, à l’évidence, le cas du Makhzen…
Mourad Bendris