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Les étranges révélations d’Ouyahia

 

Par quelque bout qu’on les prenne, les révélations qu’Ahmed Ouyahia a faites à l’audience, ce samedi, 9 janvier, ne manquent pas de surprendre. Et de susciter moult interrogations sur l’objectif recherché par l’ancien Premier ministre, en les faisant. Surtout que, tout compte fait, elles sont loin d’être à sa décharge. Bien au contraire. Et qu’il avait commencé par “bien se défendre”: il a, en effet, rejeté en bloc toutes les accusations portées contre lui dans ce qui est appelé “l’affaire du montage automobile et du financement occulte de la campagne électorale du président Bouteflika”, devant le président de l’audience qui s’est ouverte à la Cour d’Alger où l’affaire a de nouveau atterri après que la Cour suprême eut invalidé le verdict en appel que celle-ci avait rendu, il y a quelques mois; en mars 2020, pour être plus précis. Pour rappel, la Cour d’Alger avait alors confirmé pour Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal – qui a également comparu ce samedi – les peines, de 15 et 12 années de prison ferme, que le tribunal de Sidi M’hamed leur avait infligées en première instance, en décembre 2019. C’est, pour en revenir aux révélations susmentionnées d’Ahmed Ouyahia, le hiatus qui s’est brusquement produit entre son attitude – de défense raisonnée de son cas – du début et son brusque épanchement sur une question – l’origine des fonds trouvés dans ses comptes bancaires – sur laquelle il s’est toujours gardé de se prononcer, qui suscite étonnement et interrogations. Il est, en effet, difficile de croire qu’un homme qui s’est toujours caractérisé par une maîtrise de soi fort rare, l’ait brusquement perdu. Ni son séjour en prison qui commence à devenir long, il est vrai, ni la maladie dont il serait atteint, ne peuvent expliquer son attitude de ce samedi. De là, les questions qui s’imposent d’elles-mêmes: Ahmed Ouyahia a-t-il agi consciemment? Si, comme cela semble être le cas, dans quels objectifs a-t-il révélé que les fonds trouvés dans ses comptes bancaires proviennent de la vente de lingots d’or qu’il dit avoir reçus comme cadeaux de la part de personnalités de pays du Golfe”? Et, fait aussi aggravant qu’intrigant, pourquoi a-t-il déclaré, lui l’ancien haut responsable qui, de ce fait, avait plusieurs possibilités et canaux de le faire sans “attenter à son rang”, qu’il les avait vendus au marché noir? Tout indique que ces révélations n’ont pas été faites d’une manière innocente. Surtout qu’elles n’éclaircissent pas totalement la lancinante question de l’origine de tous les fonds trouvés dans ses comptes. Alors qu’il avoue avoir obtenu de la vente desdits lingots la bagatelle de 350 millions de DA – soit, l’équivalent de 35 milliards de centimes -, la somme trouvée dans ses comptes s’élèverait au double; en clair, à 70 milliards de centimes. Là aussi, une question s’impose d’elle-même: D’où provient la différence? Aux dernières nouvelles, Ahmed Ouyahia n’a pas répondu à cette  question. Ce qui, faut-il le dire, n’est pas fait pour arranger ses affaires. Une évidence que, à l’évidence, n’ignore pas le dernier Premier ministre du président démissionnaire. Ce qui, par conséquent, rend plus pertinentes les autres questions posées. Deux suppositions viennent à l’esprit quant aux réponses qui pourraient leur être apportées. En dévoilant la réception de cadeaux de valeur dans l’exercice de ses fonctionnaires, Ahmed Ouyahia donne l’impression qu’il veut, tout à la fois, révéler à l’opinion publique que cette pratique est loin d’être rare et qu’elle se poursuit même; et inciter la justice à s’y intéresser. Dans l’objectif de débusquer des “bénéficiaires” qui poursuivent leur carrière avec le nouveau régime? Tout porte à le croire. Ceci, pour la première supposition. Quant à la seconde, qui présuppose que l’ancien patron du RND se trouve dans une situation psychologique quelque peu désespérée, elle se base sur la possibilité que, après avoir acquis la conviction qui rien ne pourrait plus le tirer des griffes de la Justice, Ahmed Ouyahia veut laisser un cadeau empoisonné à tous ceux qui aspirent à diriger le pays: il veut semble-t-il, saper, et pour longtemps, l’un des fondements indispensable à toute gouvernance apaisée d’un pays; la confiance entre les gouvernants et les gouvernés. Nul doute que les jours prochains apporteront des éclaircissements salutaires à la surprenante “sortie” de celui qui se définissait comme étant “un commis de l’Etat…”

Mourad Bendris,