Tunisie: Remaniement ministériel sur fond d’émeutes

 

La situation chez notre voisin de l’Est est particulièrement trouble. Pour la troisième journée consécutive, la Tunisie connaît une série d’émeutes et d’affrontements, pour la plupart nocturnes, entre des manifestants, généralement jeunes, et les forces de l’ordre. Si la difficile situation politico-économique du pays peut expliquer la survenance de ces événements, elle ne peut le faire, en revanche, à propos de deux faits constatés depuis leur déclenchement. Tous les témoins s’accordent à dire, en effet, que ces événements ont éclaté quasi simultanément dans nombre d’agglomérations du pays; dont la Capitale, Tunis. Et tous ont observé, durant leur déroulement, l’absence de mots d’ordre ou de slogans qui auraient pu renseigner et sur les objectifs qui leur ont été assignés, et sur les parties qui sont derrière: les manifestants – dont, selon des sources concordantes, un grand nombre d’adolescents – se contentant de jeter des pierres aux forces de sécurité quand ils ne s’adonnent pas à un pillage en règle des commerces. Ce qui a amené nombre d’observateurs de la scène politique tunisienne à s’interroger sur la survenance de ces événements. Et sur leurs objectifs inavoués. Surtout qu’ils ont éclaté quelques heures seulement après l’annonce par le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, d’un important remaniement ministériel qui a touché onze portefeuilles dont celui, sensible, de l’Intérieur. Existe-il un lien entre les deux événements? Beaucoup de personnalités et de formations politiques en sont convaincues. Sauf que les avis divergent sur les parties qui seraient derrière. Pour Abir Moussi, présidente du PDL (Parti destourien libre), une formation qui se revendique ouvertement de l’héritage de l’ancien régime et s’inscrit résolument dans l’opposition à la mouvance islamiste et, plus particulièrement, au parti Ennahda et à son président Rachad Ghannouchi, les émeutes que connaît depuis trois jours maintenant la Tunisie constituent “ une tentative de coup d’Etat contre le président de la République”. Une position tranchée que conforte néanmoins l’appel que vient de lancer Rachid Khiari, un député du parti, d’obédience islamiste, Al Karama, “à destituer le Trump tunisien avant qu’il ne soit trop tard”. Pour mieux comprendre cette “lecture” des événements que vit présentement la Tunisie – à savoir la possibilité que puisse exister un lien entre le remaniement ministériel précité et les émeutes qui secouent notre voisin de l’Est – il faut avoir à l’esprit la tension qui caractérisait – et caractérise toujours – la scène politique tunisienne dans les jours qui les ont précédés. Outre les habituelles “querelles”, somme toutes  normales, entre les formations politiques y activant, celle-ci était, en effet, dominée, depuis le début du mois en cours, par la dégradation des relations entre le président de la République, Kaïs Saïed, et le chef du gouvernement en poste, Hichem Mechichi; des dégradations déjà tendues du fait d’un conflit de prérogatives: le second, s’appuyant en cela sur les dispositions de la Constitution en vigueur depuis 2014, qui fait du régime tunisien, un régime parlementaire où le chef du gouvernement, bien que désigné par le président de la République, n’est responsable que devant l’ARP (Assemblée des représentants du peuple), refuse, en effet, toute ingérence du premier dans ses prérogatives; notamment, celles relatives à la nomination des membres de son gouvernement. Un refus qu’il a mis en pratique, le 5 janvier dernier, quand il a limogé, d’une manière tonitruante, le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, et ce, au prétexte qu’il avait procédé à des nominations dans la haute hiérarchie des services de sécurité sans qu’il ne l’informe. Sauf que d’autres sources, imputent ce limogeage à la proximité avérée de ce ministre avec le président de la République. C’est, selon les mêmes sources, à cette même logique qu’obéit le remaniement ministériel de samedi dernier: Kaïs Saïed n’a été, en effet, associé à aucune des étapes y menant. Y compris dans le choix des nouveaux ministres. Bien mieux – ou pis, c’est selon -, Hichem Mechichi, selon des médias tunisiens, a annoncé qu’il ira directement à l’ARP pour la procéddure constitutionnelle d’obtention de sa confiance. Si ces faits attestent d’une rupture consommée entre Carthage, le siège de la présidence de la République, et la Casbah, celui de la chefferie du gouvernement, ils ne permettent pas, pour autant, d’identifier la partie derrière les émeutes que connaît, deouis trois jours maintenant, la Tunisie. Surtout que, toujours selon des sources médiatiques tunisiennes, une autre partie semble profiter des dissensions entre la présidence de la République et la chefferie du gouvernement; à savoir, la présidence de l’ARP aux mains du parti Ennahda et ce, en la personne de son président, Rachad Ghannouchi. Comme d’autres partis siègeant à l’ARP, tels Kalb Tounès, la formation que préside Nabil Karoui, le patron de la chaîne de télévision Nessma, et Al Karama, cité plus haut, Ennahda ne voit pas d’un bon oeil un renforcement des prérogatives du président de la République. D’où leur appui déclaré au chef du gouvernement, Hichem Mechichi, dans son bras-de-fer avec Kaïs Saïed. Mais est-ce suffisant pour les accuser d’être derrière les émeutes de ces derniers jours? Et ce, même si d’aucuns n’écartent pas la possibilité que “les anti-Kaïs Saïed” aient décidé de passer à la vitesse supérieure pour obtenir le départ du président de la République après qu’elles eurent appris que celui-ci s’apprêtent à prendre des mesures qui chambouleraient l’équilibre des forces sur l’échiquier politique tunisien? Nombre d’observateurs refusent toutefois de franchir ce pas, qui sont enclins à penser que les événements qui secouent, ces dernier jours, la Tunisie, s’inscrivent plutôt dans un plan, en rapport avec la situation d’ensemble de l’aire maghrébo-sahélienne, visant à sa déstabilisation. 

Mourad Bendris