Se dirige-t-on vers une union maghrébine sans le Maroc? Deux déclarations faites, à quelques jours d’intervalle, par deux personnalités politiques importantes de l’espace maghrébin le laissent supposer. C’est Rached Ghannouchi, président en exercice de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le parlement tunisien, et, néanmoins, président historique d’Ennahda, premier parti politique de notre voisin de l’Est, qui, le premier, l’a suggéré. C’était lors d’un entretien qu’il a accordé, il y a quelques jours, à Radio Diwan FM, une radio privée tunisienne émettant depuis la ville de Sfax. Rached Ghannouchi y a, en effet, plaidé pour la constitution dans les meilleurs délais d’un Maghreb à trois comprenant la Tunisie, l’Algérie et la Libye. Hier, samedi 27 février, c’était au tour de Abderrezak Makri, président du HMS, d’abonder dans le même sens. Ou presque: des divergences dans les propos de l’un et de l’autre ayant été, en effet, relevées. Contrairement à Rached Ghannouchi qui a parlé d’une “relance à trois” de la construction du Maghreb, excluant de ce fait et le Maroc et la Mauritanie, Abderrezak Makri, quant à lui, n’a pas écarté cette dernière de toute relance (de cette construction) à venir. Et contrairement au chef historique d’Ennahda qui a évité, tout au long de l’interview qu’il a accordée à Diwan FM, de citer le royaume de M6, le président du HMS l’a, quant à lui, clairement fait. Et ce, pour demander “son exclusion de l’UMA (Union du Maghreb arabe)”. Autre divergence relevée dans les propos de l’un et de l’autre: la précision, par Abderrezak Makri, de la raison de cette “mise à l’écart”: “Il est impératif d’exclure le Maroc de l’UMA, dès lors qu’il a ramené l’ennemi sioniste à nos frontières”, a-t-il, en effet déclaré. Et le total passage sous silence d’une telle raison par Rached Ghannouchi. Qui a préféré développer à l’appui de son appel à une relance à trois (de la construction du Maghreb), un argumentaire basé essentiellement sur des considérations économiques, sociales et même sentimentales: “l’avenir des pays du Maghreb ne peut qu’être commun”, a-t-il, en effet, déclaré. Aussi important et pertinent qu’il soit, ce double appel n’en pèche pas moins par un handicap de taille. Qui tient à l’appartenance politique de ceux qui l’ont lancé. Rached Ghannouchi et Abderrezak Makri appartiennent, en effet, tous deux à la même mouvance politico-idéologique; celle des Frères musulmans. D’où l’interrogation qui n’a pas manqué de se faire jour à propos des objectifs réels assignés à ce double appel. Surtout que le contexte général prévalant dans la région maghrébine et dans chacun des pays la composant est loin d’être apaisé. Et que l’un des trois pays devant constituer, pour reprendre les propos du président de l’ARP tunisienne, “la locomotive de la relance de la construction du Maghreb”, la Libye, à savoir, est dans une situation qui ne lui permet même pas de penser à la construction maghrébine – et ce, sous quelque forme que ce soit – et, encore moins, de s’y engager. En attendant d’y voir plus clair, il y a lieu de relever la formidable levée de bouclier que ce double appel a provoquée chez notre voisin de l’Ouest. A l’unisson, la presse aux ordres, appuyée en la circonstance par des médias occidentaux et arabes, s’est lancée dans des campagnes de dénigrement, à la limite du journalistiquement permis, contre les deux responsables politiques maghrébins. Une réaction qui dénote, pour nombre d’observateurs, d’une crainte certaine du Makhzen de se voir isolé dans l’espace maghrébin. Est-ce à cela que vise le double appel précité? La question reste posée.
Mourad Bendris